Dessin de Florence Cestac |
Après avoir annoncé qu’il ajouterait des noms de femmes à sa sélection exclusivement masculine de nominés au Grand Prix qu’il décerne chaque année, le Festival international de la bande dessinée d’Angoulême (FIBD) a finalement décidé, jeudi 7 janvier, de ne publier aucune liste.
Les votants sont, de fait, invités à voter pour qui bon leur semble. « Le Festival soumet au libre arbitre absolu des auteur(e)s l’élection du lauréat/de la lauréate (…). Aucune liste de noms de créateurs/créatrices du 9e art ne sera, par conséquent, proposée à leur vote », a indiqué la direction de la manifestation, dans un communiqué.
« Cela ressemble à une aumône »
Une grande confusion a, semble-t-il, précédé cette volte-face. Quelques heures plus tôt, la liste de trente noms initialement publiée avait en effet été augmentée de six biographies d’auteures, ainsi qu’il était possible de le constater sur le site du FIBD. Leurs noms ont toutefois été effacés au bout de plusieurs minutes et ne sont jamais réapparus, sinon sur les réseaux sociaux. Il s’agissait de l’Américaine Lynda Barry, de la Canadienne Julie Doucet, de la Japonaise Moto Hagio, de la Française Chantal Montellier, de la Franco-Iranienne Marjane Satrapi et de la Britannique Posy Simmonds.
Un casting qui ne devait rien au hasard, dans le contexte de tollé qui règne, depuis mardi 5 janvier, et l’annonce de la liste des auteurs éligibles au Grand Prix. Peu connue en Europe, Moto Hagio l’est énormément au Japon, où elle a contribué à l’affirmation du manga féminin. Chantal Montellier a créé, en 2007, l’association Artemisia, qui promeut la BD féminine, au travers d’un prix annuel. Lynda Barry et Julie Doucet sont deux des principales figures féminines de la BD underground nord-américaine. Marjane Satrapi, la créatrice de Persepolis, et Posy Simmonds, l’auteure de Tamara Drewe, elles, étaient déjà sur la liste en 2014 et en 2015 : leurs noms, qui ont obtenu un nombre trop faible de voix, n’avaient pas été reconduits cette année.
Le festival travaillait-il « en temps réel à partir de noms potentiels », comme l’explique son délégué général, Frank Bondoux ? Ou a-t-il redouté que certaines sélectionnées refusent de l’être, comme l’ont fait savoir une dizaine d’auteurs hommes en guise de protestation ? Contactée jeudi matin, alors que son nom commençait à circuler sur Internet, Chantal Montellier s’offusquait à l’idée qu’elle puisse figurer sur la liste : « Il n’est pas question que j’accepte ce truc ! Cela ressemble à une aumône. Le Festival décide de rajouter six femmes ; pourquoi pas douze, tant qu’on y est, comme pour les huîtres ? »
Qui doit décider ?
Le précédent mode de désignation du Grand Prix n’aura donc vécu que deux ans. Il avait succédé au système historique de cooptation par les anciens lauréats, un mode de scrutin qui avait également provoqué de nombreux remous dans le passé. Le sexisme n’était, alors, pas la principale accusation formulée par ses détracteurs (quand bien même une seule femme, Florence Cestac, réussit à se glisser au palmarès, en 2005), mais le copinage. L’âge avancé de certains primés et leur manque de curiosité pour la création contemporaine avaient entravé la nomination de grands noms de la BD internationale, notamment japonaise. La crise a abouti, en 2014, à un schisme entre la direction du FIBD et l’Académie des grands prix.
La crise actuelle, l’une des plus importantes rencontrées par le Festival d’Angoulême en quarante-trois ans d’existence, soulève finalement une question que se posent nombre d’organisateurs de festivals confrontés à la constitution de panthéons : qui doit décider d’y faire entrer tel ou tel créateur ? Des grands artistes déjà primés dans le passé ? L’ensemble des professionnels du secteur ? Un collège d’experts ?
« Les grands prix, je trouve cela vraiment inepte. Les compétitions entre auteurs, choisis à leur insu, mais censés se prononcer, voter, voter pour eux-mêmes, voter pour ou contre leurs confrères et consœurs – quand elles sont présentes dans la sélection –, censés répondre à telle ou telle polémique soulevée par des décisions qu’ils n’ont pas prises, c’est fatigant, c’est faux », estime, dans un texte qu’il nous a fait parvenir, Emmanuel Guibert (Le Photographe, La Guerre d’Alan, Ariol…). Guibert, un auteur majeur qui, lui, mériterait d’en être.
« Cela ressemble à une aumône »
Une grande confusion a, semble-t-il, précédé cette volte-face. Quelques heures plus tôt, la liste de trente noms initialement publiée avait en effet été augmentée de six biographies d’auteures, ainsi qu’il était possible de le constater sur le site du FIBD. Leurs noms ont toutefois été effacés au bout de plusieurs minutes et ne sont jamais réapparus, sinon sur les réseaux sociaux. Il s’agissait de l’Américaine Lynda Barry, de la Canadienne Julie Doucet, de la Japonaise Moto Hagio, de la Française Chantal Montellier, de la Franco-Iranienne Marjane Satrapi et de la Britannique Posy Simmonds.
Un casting qui ne devait rien au hasard, dans le contexte de tollé qui règne, depuis mardi 5 janvier, et l’annonce de la liste des auteurs éligibles au Grand Prix. Peu connue en Europe, Moto Hagio l’est énormément au Japon, où elle a contribué à l’affirmation du manga féminin. Chantal Montellier a créé, en 2007, l’association Artemisia, qui promeut la BD féminine, au travers d’un prix annuel. Lynda Barry et Julie Doucet sont deux des principales figures féminines de la BD underground nord-américaine. Marjane Satrapi, la créatrice de Persepolis, et Posy Simmonds, l’auteure de Tamara Drewe, elles, étaient déjà sur la liste en 2014 et en 2015 : leurs noms, qui ont obtenu un nombre trop faible de voix, n’avaient pas été reconduits cette année.
Le festival travaillait-il « en temps réel à partir de noms potentiels », comme l’explique son délégué général, Frank Bondoux ? Ou a-t-il redouté que certaines sélectionnées refusent de l’être, comme l’ont fait savoir une dizaine d’auteurs hommes en guise de protestation ? Contactée jeudi matin, alors que son nom commençait à circuler sur Internet, Chantal Montellier s’offusquait à l’idée qu’elle puisse figurer sur la liste : « Il n’est pas question que j’accepte ce truc ! Cela ressemble à une aumône. Le Festival décide de rajouter six femmes ; pourquoi pas douze, tant qu’on y est, comme pour les huîtres ? »
Qui doit décider ?
Le précédent mode de désignation du Grand Prix n’aura donc vécu que deux ans. Il avait succédé au système historique de cooptation par les anciens lauréats, un mode de scrutin qui avait également provoqué de nombreux remous dans le passé. Le sexisme n’était, alors, pas la principale accusation formulée par ses détracteurs (quand bien même une seule femme, Florence Cestac, réussit à se glisser au palmarès, en 2005), mais le copinage. L’âge avancé de certains primés et leur manque de curiosité pour la création contemporaine avaient entravé la nomination de grands noms de la BD internationale, notamment japonaise. La crise a abouti, en 2014, à un schisme entre la direction du FIBD et l’Académie des grands prix.
La crise actuelle, l’une des plus importantes rencontrées par le Festival d’Angoulême en quarante-trois ans d’existence, soulève finalement une question que se posent nombre d’organisateurs de festivals confrontés à la constitution de panthéons : qui doit décider d’y faire entrer tel ou tel créateur ? Des grands artistes déjà primés dans le passé ? L’ensemble des professionnels du secteur ? Un collège d’experts ?
« Les grands prix, je trouve cela vraiment inepte. Les compétitions entre auteurs, choisis à leur insu, mais censés se prononcer, voter, voter pour eux-mêmes, voter pour ou contre leurs confrères et consœurs – quand elles sont présentes dans la sélection –, censés répondre à telle ou telle polémique soulevée par des décisions qu’ils n’ont pas prises, c’est fatigant, c’est faux », estime, dans un texte qu’il nous a fait parvenir, Emmanuel Guibert (Le Photographe, La Guerre d’Alan, Ariol…). Guibert, un auteur majeur qui, lui, mériterait d’en être.
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