lundi 28 mai 2012

Afrique: caricature et satire à l'assaut des régimes

Abdoulaye Bah sur le site Global Voices.

Allez-y, patron! (dessin de Zapiro, Afrique du Sud)

L’histoire de la caricature et de la satire dans les médias est assez récente dans la plupart des pays africains. Elle a commencé par la parution dans les journaux des aventures de petits personnages caricaturaux en qui une partie de la population pouvait se reconnaître. Ces journaux satiriques sont aussi souvent le reflet des classes politiques de leurs pays, des classes politiques où le ridicule ne tue pas et où l’indélicatesse est souvent la règle.
En Côte d’Ivoire, dans une analyse pour le site cairn.info, Yacouba Konaté décrit ainsi ce métissage de la langue de Molière avec des dialectes locaux où la traduction directe de l’une aux autres et vice-versa donne des expressions ou des phrases incompréhensibles hors de leur contexte ivoirien:

Le français populaire ivoirien dit « français de Moussa », « de Dago » ou « de Zézé » (héros de bandes dessinées dans l’hebdomadaire Ivoire Dimanche), accélère son déploiement durant les années 1970, celles de la croissance ivoirienne qui supporta l’appellation merveilleuse de « miracle ivoirien ». Sa promotion bénéficia de l’appui de la télévision où, pendant des années, le dimanche ouvrit de larges plages horaires à Toto et Dago

Au Gabon, un langage similaire a acquis ses lettres de noblesse en devenant un moyen de dénonciation de la corruption et de critique sociale. Falila Gbadamassi présente une sélection de mots tirés du livre de Raponda-Walker sur ce langage sur afrik.com :

Le “bongo CFA”, désigne la monnaie gabonaise qui était autrefois à l’effigie du défunt président Omar Bongo. Le terme se rapporte aussi à l’argent distribué pendant les déplacements du Président ou les campagnes électorales. …. [”mange-mille”] est un « jeu de mots construit sur mange-mil (nom d’oiseau) et désignant le policier ou le gendarme en raison des billets de 1000 francs (FCA, ndlr) qu’ils réclament souvent aux usagers de la route. Et des “Chine en deuil” ? Ce sont des « chaussures noires en tissu souple de fabrication chinoise ou asiatique introduites au Gabon après la mort de Mao Ze Dong », …. Un “dos-mouillé”, lui, est un immigré clandestin originaire d’Afrique de l’Ouest qui arrive au Gabon par la mer.

Caricature de Bongo par Hub (via Agora Vox)
Dans ces deux pays, ce français est utilisé dans la vie de tous les jours comme toutes les autres langues, sans aucune signification péjorative ou intention humoristique, mais lorsqu’il paraît dans les publications ou la TV, il sert surtout la critique sociale et politique, avec ceci de particulier que le dessin à lui tout seul ne ferait pas rire. Ce qui compte le plus c’est le contenu du texte.

La caricature par le crayon, ou bande dessinée, s’est développée de manière inégale, mais plus tard au fur et à mesure que les régimes autoritaires réduisaient leur emprise sur la liberté d’expression. Dans un article publié sur le site waccglobal.org, Gado a fait une rétrospective de l’histoire de la caricature dans les pays africains parue sur le site waccglobal.org:

Avec l'introduction du multipartisme politique dans la plupart des pays africains au cours des années 1990, la caricature apparaît comme une profession en croissance. Cela ne signifie pas qu'elle n'était pas là avant. Dans les années 1960, il y avait des pionniers comme Gregory (Tanzanie) avec sa BD populaire Chakibanga et la bande de Juha Kalulu par Edward Gitau, le caricaturiste vivant le plus ancien d'Afrique orientale et centrale.
Les changements politiques ont apporté une plus grande liberté d'expression ainsi que de la presse. Cela a insufflé une vie nouvelle dans les journaux, les magazines et l'industrie de l'édition en général.

Caricatures de chefs d'états africains par Dilem (via Zoom Algérie)

A l’occasion du Festival international de la caricature et du dessin de presse qui a eu lieu à Ouagadougou au Burkina Faso, en 2011, dans un article intitulé « Dessinateur de presse : un métier sous pression(s) » paru sur le site africandiplomacy.com, Damien Glez traite des risques et des difficultés du métier de dessinateur satirique, pouvant entraîner la mort. Pour Damien :

Moins assassinés, les dessinateurs ne sont pas totalement immunisés. Au Cameroun, le caricaturiste-vedette Nyemb Popoli a eu maintes fois maille à partir avec le régime de Paul Biya. A la fin des années 80, dans le Bénin du «marxisme-béninisme», le dessinateur Hector Sonon voyait ses dessins systématiquement passés à la moulinette du comité de censure du ministère de l'Intérieur. Le Sud-Africain Jonathan Shapiro, alias Zapiro, fut détenu par les autorités en 1988. Non loin, au Zimbabwe, le dessinateur Tony Namate joue au chat et à la souris avec les autorités. Au Nigeria, autre pays anglophone, les caricaturistes - en premier lieu le pionnier Akinola Lasekan - ont souffert longtemps des dictatures militaires…

Avaient participé à ce festival, organisé par Cartooning for Peace/Dessins pour la paix, l’ivoirien Karlos, les burkinabè Timpous, Gringo, Joël Salo, Kab's

En Afrique du sud, Shapiro, du temps de l’apartheid, a subi la prison pour avoir provoqué le courroux des autorités racistes pour ses critiques et, maintenant ses prises de position contre la mainmise de l’ANC sur la vie politique de son pays, lui coûtent cher. Melanie Peters décrit une caricature critique dénonçant un projet de loi du Président Zuma l’an dernier sur iol.co.za et rapporte les réactions des internautes:
Alors que la vignette dépeint un homme nommé “Govt” avec son pantalon abaissé face à une femme en cri maitenue au sol par un homme portant la mention “ANC”, le premier c'est clairement Zuma, avec sa calvitie, et le second Gwede Mantashe, l'ANC, le secrétaire général. A côté d'eux sur le sol, sa robe déchirée et une balance cassée jetée à côté d'elle, est une victime de viol apparente, criant : “Lutte, ma sœur, lutte !”

Le site publie aussi les nombreux commentaires où les attaques personnelles et racistes ne manquent pas, mais ses défenseurs non plus, comme Siobhan, qui écrit [en]:

“Go, Zap!” représente exactement ce qui se passe avec le projet de loi le “secret”! Cela se fait à la Constitution, à la démocratie et à chaque Sud-Africain - dont la plupart sont tellement habitués à être trompés par l'ANC, qu' ils ne savent même pas que c'est arrivé …
Jusqu’à tout récemment les caricaturistes n’avaient aucune formation. Mais il y a des changements en cours. En Guinée, selon Alimou Sow Oscar le caricaturiste du Lynx a formé un certain nombre de collègues juniors. Cependant c'est probablement à Madagascar que les premiers cartoonists ont le mieux préparé la relève, avec une production florissante et diversifiée aussi bien en langue nationale qu'en français. D'après la liste provisoire proposée par wikipedia.org, le nombre d'auteurs malgaches est plusieurs fois supérieur à celui de tous les autres pays africains réunis.

La publication de journaux satiriques dans plusieurs pays donne à la satire la possibilité d’exister et de se développer, au milieu de mille et une difficultés : au Sénégal, Le Cafard libéré, au Burkina, le journal du jeudi et le dernier né l'Etaloon, au Bénin, le Canard du Golfe, en Guinée, Le Lynx, au Mali, Le Canard déchaîné, à Madagascar Ngah, etc

Dans un article publié sur africultures.com, Christophe Cassiau-Haurie intitulé “La caricature à Maurice, 170 ans d'histoire” nous apprend que:
La toute première caricature référencée remonte à l'année 1841, dans le journal Le bengali

Les festivals et autres types de rencontres aussi se multiplient au niveau régional et de toute l’Afrique. Dans son article déjà cité Damien Glez en énumère ceux-ci:

BD'Farafina» à Bamako, «Cocobulles» à Grand Bassam, «Fescary» à Yaoundé ou «Karika'Fête» à Kinshasa.
Les NTIC sont aussi un outil qui commence à avoir sa place parmi les moyens d’expression des humoristes africains : zapiro.com, bing.com africartoons.com, 2424actu.info, gbich.com.

Au niveau international, les africains sont de plus en plus nombreux à être présents. Par exemple, ils participent aux activités de la Fondation Cartooning for Peace/Dessins pour la paix, initiée en 2006 par le dessinateur français Plantu et Kofi Annan, alors Secrétaire général de l'ONU, par une conférence de deux jours réunissant 12 des dessinateurs de presse les plus renommés au monde pour mettre au point des moyens pour “désapprendre l'intolérance”.

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