mardi 28 mai 2013

« La vie d’Adèle », d’Angoulême à Cannes

Gilles Ciment sur le site Neuvième Art.




Pour son nouveau film, Abdellatif Kechiche (L’Esquive, La Graine et le Mulet, La Vénus noire) a choisi d’adapter la bande dessinée Le bleu est une couleur chaude de Julie Maroh, auteure actuellement en résidence à la maison des auteurs d’Angoulême. Cette ample adaptation était présenté jeudi 23 mai en compétition officielle au 66ème Festival de Cannes, où je l’ai découvert et assisté à son triomphe et celui de ses deux extraordinaires interprètes principales (la Palme d’or a été décernée, c’est une première, au réalisateur et ses deux actrices).





Peu de festivaliers savaient qu’il était adapté d’une bande dessinée, et d’ailleurs, quoique vendu dans le monde entier sous le titre Blue is the warmest colour, le film sortira France le 9 octobre prochain sous le titre La Vie d’Adèle (les éditions Glénat planchent sans doute déjà sur une nouvelle couverture, une jaquette ou un bandeau rattachant le livre au film). Pourtant, l’adaptation de Kechiche est d’une fidélité troublante, même si son film de plus de trois heures (sous-titre « Chapitre 1 et 2 ») ne couvre pas la totalité de l’album de 152 pages (on attend donc « Chapitre 3 et 4 » pour clore le récit) ! De nombreuses scènes sont transposées comme si la bande dessinée avait servi de story-board, certains dialogues sont dits fidèlement, des touches de bleu émaillent discrètement les images (même un feu vert peut être bleu)...


Kechiche a tiré du roman graphique tout ce que l’écriture de bande dessinée avait contribué à rendre le récit de Julie Maroh si poignant, lui valant le Prix du public au Festival d’Angoulême en 2011. Il a écarté tout ce qui était moins adapté à l’écriture cinématographique, parce que trop schématique ou naïf : certaines scènes moins convaincantes ou redondantes, ou les cheveux bleus d’Emma (interprétée par Léa Seydoux), qui disparaissent plus tôt que dans la bande dessinée. En revanche - d’où la longueur du film - il a apporté beaucoup de matière supplémentaire, issue de ses propres tropismes, brodant, développant, étoffant l’histoire originale.

Ainsi, les activités de Clémentine (devenue Adèle dans le film, le personnage empruntant son prénom à l’actrice Adèle Exarchopoulos), d’abord lycéenne, puis institutrice, tout juste évoquées chez Julie Maroh, sont très développées. Le film s’ouvre d’ailleurs sur une scène de cours de français durant lequel des lycéens et lycéennes lisent à haute voix La Vie de Marianne de Marivaux (œuvre à laquelle fait référence le titre du film), et tout au long du film Kechiche revient en salle de classe, rendant un nouvel hommage à l’enseignement, déjà au cœur de son film L’Esquive (avec Marivaux, déjà).

J’imagine le trouble qu’a dû ressentir Julie Maroh en découvrant le film et voyant ainsi son œuvre respectée ET trahie, ses personnages puissamment (et crûment) incarnés... le tout lui échappant pour s’épanouir dans un film admirable, puissant, énergique, bouleversant, et finalement si fidèle à l’esprit de son livre, si ce n’est à sa lettre (et son trait).

Un film que nous reverrons et sur lequel nous reviendrons.

Pour en savoir plus sur le film, vous pouvez télécharger son dossier de presse
Et concernant le porn lesbien, un petit lien
L’ombre du tournage -> http://www.lemonde.fr/festival-de-cannes/article/2013/05/24/des-techniciens-racontent-le-tournage-de-la-vie-d-adele_3417150_766360.html

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