jeudi 8 octobre 2020

Espé censuré par le tribunal populaire

 Une analyse de Cartooning for Peace.


Le 6 septembre 2020, la publication d’une caricature du dessinateur Espé par le journal l’Humanité sur son site Internet suscitait une polémique sur les réseaux sociaux et entrainait la rupture de la collaboration entre le journal et le dessinateur.

Cartooning for Peace déplore la violence de certaines réactions sur les réseaux sociaux et les menaces auxquelles le dessinateur a fait face après que le journal s’est désolidarisé de lui.

Le contexte 

Connu davantage pour ses bandes dessinées, Espé travaillait bénévolement pour l’Humanité dans le cadre du Tour de France, et il avait réalisé des dessins sur les étapes précédentes du Tour.

Le dessin incriminé dépeint la chroniqueuse de France télévision Marion Rousse, assise sur un lit, en lingerie, interrogeant son compagnon, le coureur Julian Alaphilippe. 

Ce dernier tire la langue d’une manière qui rappelle celle du loup dans les dessins animés de Tex Avery, comme expliqué par le dessinateur. 



Pour ce dernier, la tenue et la pose de la chroniqueuse évoquent une série de photographies tirées du calendrier « Cyclepassion 2012 ». Le dessin accompagnait un texte du chroniqueur Antoine Vayer sur la vie sexuelle des sportifs lors des compétitions, qu’il avait pour vocation d’illustrer.

Les réactions 

Critiqué d’emblée par Elisa Madiot, attachée de presse de l’équipe Groupama-FDJ qui considère son humour « sexiste, dégradant et vulgaire » et relayée par Marion Rousse, elle-même « désabusée », le dessin fut grandement commenté et partagé. Interrogé sur RMC Sport, le coureur marquait lui aussi son mécontentement.

En réaction aux indignations suscitées par la publication du dessin, le journal dépubliait le dessin quelques heures après sa publication. 

Dans un Tweet relayé par le compte du journal, Sébastien Crépel, co-directeur de la rédaction, évoquait un « manque de vigilance » et demandait des excuses à Marion Rousse. 

Le lendemain, la rédaction publiait une lettre à ses lecteurs dans laquelle le co-directeur qualifiait à son tour le dessin précédemment validé et publié par ses équipes de « dégradant et sexiste » et informait de la décision de cesser la collaboration avec le dessinateur et le chroniqueur tout en reconnaissant une défaillance de vérification.

Le dessinateur, pour sa part, a immédiatement demandé pardon pour une caricature dont l’intention fut selon lui mal comprise : 
« Je suis vraiment désolé, désolé, désolé. Le journal a fait ses excuses, le dessin a été dépublié et j’arrête de travailler pour l’Humanité. Mon but n’était absolument pas de blesser, je n’ai pas pensé à mal, c’est juste de la caricature. J’ai voulu évoquer la porosité entre médias et sport et j’ai voulu m’inspirer des dessins de Tex Avery. Je me suis planté. Quand un dessin n’est pas compris c’est une erreur, mais je n’aurais pas pensé que ça prenne de telles proportions. ».
Malgré ces explications et ces excuses, le dessinateur a été pendant plusieurs jours submergé d’articles, souvent à charge, et fut victime d’une tempête de commentaires agressifs contenant leur lot d’insultes et même de menaces physiques, qui l’ont grandement affecté.

Un nouvel exemple de censure par tribunal populaire 

La liberté d’expression permet de se moquer, notamment par le dessin, de tout un chacun, sans considération de son origine, de son sexe, de ses croyances ou de sa notoriété. Dans le respect des limites de la loi et quitte, volontairement ou pas, à déranger. Un artiste peut ne pas rencontrer son public, et son travail ne se résume jamais à une seule œuvre.

La liberté d’expression permet aussi à chacun et chacune d’apprécier ou non un dessin et de le faire savoir. Mais cela doit se faire dans un débat qui n’inclut ni insultes, ni menaces, ni harcèlement.

Par ailleurs, un an après le licenciement, en raison d’une polémique sur les réseaux, des dessinateurs du New York Times (édition internationale), Cartooning for Peace s’inquiète de voir une nouvelle rédaction se désolidariser d’un dessinateur suite à une controverse en ligne suscitée par un dessin qu’elle a publié en toute connaissance de cause. 

Il s’agit là d’un phénomène devenu commun qui a malheureusement eu raison de nombreux dessinateurs à travers le monde et qui voudrait que, au lieu d’assumer un débat salutaire, on sacrifie immédiatement un collaborateur sur l’autel de la bienséance.

Il est aujourd’hui plus que jamais essentiel de rappeler que seule la justice est à même de décider du caractère répréhensible d’un dessin et, pour le reste, d’en appeler au dialogue entre les personnes concernées et à la modération des débats.

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