Rien n’empêche d’entrer dans les locaux de Rire Médias, la société éditrice de Baboubi, un jeune hebdomadaire satirique marocain lancé en mai 2016. Ni dispositif de sécurité, ni même un de ces portiers qui, d’habitude, surveillent les entrées d’immeuble.
Khalid Gueddar, son directeur, est pourtant menacé de mort, à longueur de posts Facebook. « J’ai été insulté, traîné en justice, condamné, mais c’est la première fois qu’on me menace de mort directement », témoigne le dessinateur.
Depuis plus de vingt-quatre heures, son smartphone vibre au rythme des notifications de sa page Facebook après qu’il a republié le dessin qui a valu à l’écrivain jordanien Nahed Hattar d’être assassiné, dimanche 25 septembre.
Collaborateur de « Charlie Hebdo »
A l’origine de l’affaire, un croquis, dont l’auteur reste inconnu, représentait un barbu alité et entouré de deux femmes, dans un endroit que l’on imagine être le paradis, et s’adressant à Dieu comme à un simple serviteur. Il avait été jugé « offensant » par des militants islamistes, qui avaient porté plainte contre cet intellectuel chrétien qui avait publié la caricature sur sa page Facebook.
Dimanche, l’écrivain jordanien de 56 ans a été tué de plusieurs balles devant un tribunal d’Amman où il se rendait pour être jugé pour « incitation à la discorde confessionnelle » et « insulte » à l’islam. Dans le royaume hachémite, cet attentat contre la liberté d’expression a fait sortir les manifestants dans les rues, certains réclamant même la démission du gouvernement.
À 4 000 km de là, Khalid Gueddar subit aujourd’hui les mêmes menaces, après avoir publié le même dessin sur sa page Facebook, accompagné de cette citation de Charb, assassiné dans les locaux de Charlie Hebdo, le 7 janvier 2015.
M. Gueddar, 41 ans, a été le collègue de Charb et a plusieurs fois collaboré avec le journal satirique français. « Je ne demande pas de protection privée ni de garde du corps, j’exige seulement que les autorités réagissent et prennent au sérieux ces menaces avant que quelqu’un ne passe à l’acte », explique-t-il.
Avec sa voix posée et ses yeux verts, Khalid Gueddar n’est pas un fanatique de la provocation. Pourtant, il se sent seul face à la prolifération d’un discours de violence contre les caricaturistes et les libres-penseurs.
« Depuis que les islamistes sont au gouvernement, les intégristes se sentent renforcés, poursuit-il. Ils croient pouvoir gagner la bataille des idées en utilisant la violence. »
Parmi les dizaines de messages de haine reçus en vingt-quatre heures, l’un des premiers est signé Tariq Ziyad. Il s’agit d’une fatwa de mort : « Que Dieu vous maudisse ! Je jure par Dieu que votre destin est de mourir égorgé, vous les ennemis de Dieu. »
D’autres ont suivi, certains par messages privés. Enchaînant les cigarettes dans son bureau, M. Gueddar ne fanfaronne pas. Il est inquiet. « On est obligés de prendre ces menaces au sérieux. J’ai d’ailleurs décidé de porter plainte pour que la police ouvre une enquête », dit-il.
Le téléphone de M. Gueddar sonne sans cesse. Les appels viennent de l’organisation Reporters sans frontières, de télévisions et de publications internationales, et de nombreux confrères qui tiennent à exprimer leur solidarité.
Mais, du côté des autorités, c’est le silence radio. Les partis politiques sont accaparés par la campagne des législatives du 7 octobre, qui a commencé samedi. Ni le Syndicat national de la presse marocaine ni la Fédération des éditeurs de journaux n’ont réagi.
« Daech est parmi nous »
En attendant, M. Gueddar et l’équipe de Baboubi bouclent leur dix-huitième numéro. Si les journalistes ont décidé collectivement de ne pas publier le dessin litigieux, sur la recommandation de l’avocat du journal, l’éditorial sera bien sûr consacré aux menaces contre le directeur de la publication, et à la défense de la liberté d’expression.
Le patron de Baboubi entend y dénoncer, aussi, « de véritables brigades électroniques islamistes qui intimident les personnalités libérales sur Internet et les réseaux sociaux ». Pour lui, le climat actuel est délétère : « Daech est aujourd’hui parmi nous, l’État doit s’inquiéter. »
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