jeudi 13 juin 2019

Garnotte tire un trait

Isabelle Paré sur le site du Devoir.

Michel Garneau sur le toit de l’ancien édifice du «Devoir» en 2017

Il était le caillou dans le soulier de plusieurs politiciens, le coup de crayon qui éveillait nos zygomatiques au réveil et le rendez-vous obligé de petits et grands enfants devenus de fidèles lecteurs du Devoir.

Garnotte, cet éternel trublion du crayon quitte nos pages et plateformes numériques après 23 années de bons et loyaux sévices graphiques.

Son coup de crayon s’était fait déjà plus rare depuis trois ans, après avoir ralenti la cadence au terme de 20 années bien remplies de cases drolatiques en page éditoriale. 

Qui croirait aujourd’hui que sa griffe désopilante, tout droit inspirée des Goscinny, Gotlib, Franquin et autres stars de la bédé française, s’est développée sur le tas (dans les marges de ses cahiers scolaires !), sans que Garnotte ne pose jamais ses fesses sur les bancs d’une école d’art. 

« Les magazines Pilote et Mad ont été mon école, j’ai fait mes classes avec ça ! »

Si c’est en géographie que Garneau a fait ses « vraies » classes, le mordu de bédé a rapidement délaissé les cartes officielles pour la carte blanche et la table à dessin, signant ses premiers croquis dans les magazines comme Baloune, Mainmise, Zone libre, Graffiti ou le Temps fou

C’est au magazine humoristique Croc, dans les années 1980, qu’il a aiguisé son crayon caustique et son sens de la répartie. 

Après la mort du magazine satirique, ses illustrations ont ensuite rempli les pages du TV Hedbo, de Protégez-vous, et surtout du magazine pour enfants Les Petits débrouillards.

Illustrateur attitré des Nouvelles CSN pendant de nombreuses années, il a fait son entrée au Devoir en 1996, et a signé une caricature presque quotidienne pendant 20 ans.


Autoportrait

Griffe unique

En vingt ans, la griffe de Garnotte s’est affûtée, soulignant à grand trait la couardise et les contradictions de la gente et du monde politique. 

Jamais carrément méchant, toujours pertinent, le nom de plume adopté par le caricaturiste incarne parfaitement sa vision du métier. 

« Comme il y avait déjà un Michel Garneau, le poète, très connu, Garnotte ça ressemblait à mon nom, mais pour moi, ça voulait aussi dire le petit caillou qui agace, qui dérange. 

C’est comme ça que je vois mon métier. L’intention c’est pas de blesser, juste de lancer une petite garnotte ! ».

Au fil du temps, il a excellé dans l’art de télescoper en une seule image plusieurs événements d’actualité pour en faire magnifier l’absurdité. 

C’est toujours le pas peinard et l’air zen qu’il a traversé la salle de rédaction pour rejoindre son antre créatif, tapissé de croquis et de photos d’hommes politiques, larguant quelques blagues au passage. 

Fiduciaire de l’humour dans ce journal, son enthousiasme indécrottable, son humilité et sa bonhomie n’ont jamais porté ombrage à son sens critique cinglant, doublé d’un humanisme touchant.

Pour Cartooning for Peace, un regroupement de caricaturistes dédié à la promotion de la paix par la caricature, il est allé dans les classes expliquer aux élèves l’importance de la caricature politique et le b.a. ba du métier.



Comme Charlie

En près de 40 ans passés derrière la table à dessin, Garnotte estime avoir vécu ses moments les plus mémorables lors des attentats à Charlie Hebdo. 

« Comme tous les autres caricaturistes, et tous ceux qui ont à cœur la liberté d’expression, Charlie Hebdo, ça m’a marqué. On était soudain devenus des cibles potentielles. » 

Parmi ces coups de crayons mémorables, on retiendra d’ailleurs celui titrant « Charlie Hebdo, les couvertures auxquelles vous n’avez pas échappées », montrant les corps des caricaturistes abattus couverts d’un drap.

Marquant aussi, celui campant Mahomet brandissant le célèbre « Je suis Charlie »




Un éclair qui sera repris par Luz à la Une du premier Charlie Hebdo post-attentat, publié… quatre jours après celle du Devoir.



« C’est incroyable, on était sur la même longueur d’onde. On pourra dire que j’ai été prophète une fois dans ma vie ! ».

Garnotte, qui se juge peu doué en dessin, affirme que c’est le flash, l’idée qui fait le bon caricaturiste, et les fortes personnalités, les meilleures victimes. 

« Je ne suis pas un artiste. Mon dessin sert d’abord à porter une blague. Pour moi, un dessin trop précis peut même détourner l’attention du lecteur. »

Lucien Bouchard dans Le Devoir, 24 septembre 2012.

Particulièrement inspiré par les tempéraments bouillants de Lucien Bouchard ou de Jean Chrétien, le croqueur de politiciens juge que l’homme politique beige et insipide peut donner beaucoup de fils, ou disons, beaucoup mines à aiguiser au meilleur des portraitistes. 

Jean Chrétien dans Le Devoir, 15 septembre 2015.

Mais sous celle de Garnotte, même Gérald Tremblay et Stephen Harper sont devenus de puissantes machines à gag. 


Gérald Tremblay dans Le Devoir, 9 octobre 2009

Stephen Harper dans Le Devoir, 20 décembre 2011.

« Ne rien savoir sur rien, ou vouer un amour inconditionnel pour la Reine, ça m’a permis quand même de faire pas mal de millage avec ces deux personnages », dit-il.

Alors que le New York Times annonçait lundi mettre fin aux caricatures dans son édition internationale, Garnotte s’inquiète des reculs entraînés par une certaine forme de rectitude politique. 

« S’il n’y pas plus de caricatures dans les journaux, quel avenir reste-t-il pour les caricaturistes ? Ce n’est pas sur les réseaux sociaux, sans droits d’auteur, que les dessinateurs vont trouver de quoi vivre. »

S’il tire définitivement un trait sur la caricature politique, Garnotte n’entend pas poser complètement son crayon. 

À l’instar de Franquin et Goscinny qui adoraient dessiner chats, mouettes ricaneuses et chiens malins, les nouvelles cibles de Garnotte seront maintenant les écureuils et les ratons laveurs de son coin de campagne.

Grâce à sa patte le journal a eu bonne mine, et il nous manquera tout de même, ce sympathique petit caillou quotidien.




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