lundi 24 juin 2019

La place des femmes, des deux côtés du crayon

Sur le site du Temps.

Dessin de Chappatte, 13 mars 2000.

Éclairage sur la place des femmes, des deux côtés du crayon, avec le dessinateur Patrick Chappatte.

Les dessins de presse, qui décortiquent souvent l’actualité de manière satirique, jouent un rôle essentiel dans les pages d’un journal.

Mettant en scène des hommes et des femmes, de pouvoir ou du quotidien, ils illustrent de manière efficace et percutante une situation parfois complexe.

Échange avec Chappatte sur les femmes dessinatrices et dessinées.



Le Temps: Avez-vous, avec les débats actuels, réfléchi sur votre manière de dessiner les femmes?

Chappatte: Je me suis posé la question de la présence des femmes dans mes dessins depuis longtemps. Je suis conscient que le «je», chez moi, est un homme. Je ne peux pas me forcer la main. C’est assez naturel, puisque je suis un auteur masculin.

Mais je me suis quand même demandé si les femmes apparaissaient assez dans mes dessins. Elles sont présentes. Et bien souvent, elles sont malignes, disent le truc intelligent à côté du mec un peu pataud.

Je pense qu’une dessinatrice peut prendre comme personnage par défaut une femme. Par contre, quand je remplace de manière velléitaire mon personnage générique par une femme, cela suscite des interrogations: pourquoi est-ce une femme? Et pourquoi dit-elle ça? Qu’est-ce que j’ai voulu dire?

Mon dessin part alors dans des directions non souhaitées.

Vos dessins ont-ils déjà été critiqués pour ces raisons?

Oui, cela m’est arrivé avec un dessin fait pour le site de la NZZ. Il y avait un personnage âgé et un jeune. Je voulais les représenter en tant que père et fils. Je me suis dit, justement, qu’il faudrait une nana, donc j’ai fait une ado avec le nombril à l’air.

Ce dessin a suscité l’ire d’une blogueuse féministe zurichoise qui m’a reproché de faire du mansplaining – explication condescendante faite par un homme à une femme. Cela m’a fait rire. Elle n’a pas pensé une seule seconde que c’était un père et sa fille.

Ce dessin ne jouait pas sur les genres, mais sur les générations. Le ton paternaliste dans ce cas de figure était justifié. C’est à double tranchant de vouloir augmenter la présence féminine, car cela peut engendrer des débats ridicules.

Avez-vous l’impression que vos confrères ont adopté la même démarche?

Ça dépend de l’âge des dessinateurs. Il y a eu longtemps un humour un peu convenu, où on faisait des blagues misogynes juste par principe, pour être anti-politiquement correct. L’exemple de bobonne qui repasse est un cliché qui ne correspond plus du tout à la réalité des couples.

Ce n’est même pas une question de féminisme, c’est juste dépassé. L’imagerie doit être en phase avec la société: la femme et l’homme travaillent autant l’un que l’autre. J’essaie de refléter le réel dans mes dessins, que ce soit dans les attitudes, les vêtements ou le mobilier.

La caricature tourne parfois avec des auto-référents du passé. Dans la BD belge, pendant des décennies, on représentait encore les mendiants en culs-de-jatte avec des fers à cheval aux mains ou des professeurs vêtus d’une blouse blanche.

Quelle est la limite entre caricature et stéréotype?

Je n’essaie pas d’être plus gentil avec les femmes. J’essaie de ne pas outrer mes caricatures, mais je représente Theresa May avec un nez crochu car elle en a un.



Le dessin de presse utilise les clichés. C’est son vocabulaire. Le type avec un béret et une baguette, par exemple: il n’y a pas plus rapide pour faire comprendre au lecteur que c’est un Français.

Le vocabulaire est basique, mais les phrases qu’on fait avec ne le sont pas. Ce qui compte dans un dessin, c’est avant tout le message.

Cela dit, utiliser des stéréotypes éculés peut s’avérer contre-productif, même si le message est progressiste. Quand il y a eu l’élection des conseillères fédérales, j’ai utilisé un cliché, tellement vieux qu’il ne pouvait être que du 3e degré.

Elles dépoussiéraient le drapeau suisse à la fenêtre du Palais fédéral. Et il y avait des petites poussières de symboles masculins qui s’envolaient. J’ai été pointé du doigt par mes lectrices, qui se sont arrêtées au cliché du tape-tapis.

Votre métier est-il encore majoritairement masculin?

Oui, même si les collègues féminines sont plus nombreuses qu’il y a dix ans. Parmi elles, Bénédicte, à 24 heures, et Ann Telnaes, au Washington Post, sont des dessinatrices de presse majeures. Il y a aussi Caro, dans Vigousse, et Coco, qui travaille pour Charlie Hebdo.

Elle est révolue l’époque qui les cantonnait à des sujets féminins. Elles font entendre leur voix sur tous les sujets. Et c’est une bonne chose, car l’égalité ne fonctionne que lorsqu’il n’y a plus de différences.

La fondation Cartooning for Peace, qui remet un prix tous les deux ans, a déjà eu des lauréates féminines venues d’Iran et d’Egypte.

Un prix international a été créé par l’association United Sketches pour récompenser des dessinatrices de presse.

Mais je ne sais pas si c’est valorisant de tout genrer. Elles devraient recevoir un prix tout court.

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