Jérome Delgado dans Le Devoir.
« La caricature est comme une fraise. Elle est meilleure quand elle est fraîche. Une exposition de caricatures leur donne une perspective historique. C’est comme une confiture : on ajoute des ingrédients pour lui donner une autre saveur. »
L’image est de Michel Garneau, alias Garnotte, dont les dessins animent la page éditoriale du Devoir depuis plus de 15 ans. Destinées à être consommées le jour de leur publication, ses caricatures, comme celles de ses compères, auraient donc une deuxième vie une fois dans la conserve muséale.
Le Musée McCord, friand d’histoire, même salée, possède une bonne collection de caricatures évaluée à quelque 25 000 pièces couvrant deux siècles. Sur un thème propice à déterrer les plus sombres récits de l’humanité, l’exposition inaugurée cette semaine en présente quelques centaines.
Intitulée La fin du monde… en caricatures, elle garde ce goût d’humour et d’actualité propre à ces fraises nées sous le crayon.
Pour Christian Vachon, chef de la gestion des collections, les caricaturistes livrent un témoignage de grande estime. « L’expo, dit-il, vise à mettre en valeur nos dessins éditoriaux, à les montrer comme une forme d’écriture. Il s’agit de faire comprendre que le caricaturiste est un journaliste, un commentateur politique. »
Une fascination
L’établissement de la rue Sherbrooke à Montréal s’intéresse depuis toujours à cette faction de l’histoire de la presse.
Et sa collection est précieuse. « On possède la caricature qui est considérée comme la plus ancienne du monde [un portrait du général Wolfe]. Elle appartenait à David McCord, le fondateur du musée », commente celui qui agit à titre de commissaire de la nouvelle exposition.
Le parcours s’ouvre sur des dessins inédits commandés à neuf des caricaturistes québécois les plus connus : Garnotte, bien sûr, mais aussi Aislin (The Gazette), Bado (Le Droit), Beaudet (Journal de Montréal), Chapleau (La Presse), Fleg (Yahoo ! Québec), Godin (ex de Voir), Pascal (The Gazette) et Pier (ex du Journal de Montréal).
À l’approche de l’apocalypse que certains ont décryptée, à tort, dans le calendrier maya, le thème de la fin du monde s’est imposé.
Une manière de rester ancré dans notre époque et d’embrasser la planète sur le sujet bien précis de la mort, qu’elle soit source d’ironie ou montrée dans sa plus néfaste réalité.
Passé ce préambule, l’expo se décline en cinq sections dont la première, la plus politique, est aussi la plus vaste et la moins drôle, finalement. Les sujets noirs n’y manquent pas : de la Deuxième Guerre mondiale au printemps arabe en passant par tous les conflits de la planète, les caricaturistes se sont souvent fait le devoir de les commenter.
Parfois de manière sobre, comme cette statue de la Liberté sous la poussière réalisée par Chapleau le 12 septembre 2001, parfois sans retenue, comme l’Amin Dada, le dictateur ougandais qu’Aislin dessine en cannibale en 1977.
Les fléaux majeurs suivront, auxquels succéderont un monument aux morts célèbres, les désastres écologiques, puis les fins du monde pas si terribles, comme les nids de poule, les hivers de tempête et le pas terrible Canadien de Montréal.
L’expo est une véritable histoire du monde vue de notre coin du globe. Une histoire qui comprend les oeuvres d’Arthur G. Racey, de John Henry Walker et d’Henri Julien, pionniers ici de la profession.
Chaque sujet est difficile, mais quand un drame arrive, les dessinateurs ne l’abordent pas de gaieté de coeur, avoue Garnotte. « Ce sont des journées mortelles pour nous », dit-il.
Non pas qu’il soit pénible de traiter un sujet sombre. C’est plutôt parce qu’il devient obligatoire, sans surprise. D’ailleurs, il n’est pas rare de voir le même traitement d’un journal à l’autre.
Au lendemain du tsunami au Japon, ils sont plusieurs à s’être inspirés de la grande vague au coeur d’une célèbre estampe de 1830 signée Katsuhika Hokusai.
Dessins d'Aislin, Garnotte et Bado publiés dans leurs journaux respectifs le 12 mars 2011. |
« J’essaie de m’en sortir par la mise en scène, estime le caricaturiste du Devoir, non sans s’arracher parfois la tête. Quand Jack Layton est mort, j’ai fait quatre ou cinq esquisses avant de trouver cette idée de la canne appuyée sur un arbre. »
Un seul sujet lui paraît tabou : la religion. Il ne dessinera pas Mahomet tant qu’il n’aura pas une raison valable, par exemple. « Il faut être très précis, parce que les intégristes prennent tout au pied de la lettre. Il nous faut des entourloupettes, des allusions fines. »
Une drôle de tablette
Notons que la moitié des caricatures sont exposées sur des tablettes numériques, preuve que la profession n’est pas près de disparaître. Fleg, qui anime cinq jours par semaine le portail de Yahoo !, assure quand même qu’il ne vit pas mieux depuis qu’il a cette plateforme.
Ça ne l’empêche pas de dessiner encore au crayon, et même de sculpter. Quatre de ses bustes, dont ceux de Trudeau et de Lévesque devenus appuie-livres, ont été intégrés à la murale mortuaire. On ne peut s’empêcher d’en rire.
La fin du monde… en caricatures, Musée McCord, 690, rue Sherbrooke Ouest à Montréal, jusqu’au 26 janvier 2013.
Les dessins inédits réalisés pour l'exposition sont affichés sur le site web du Devoir:
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